Revue de réflexion politique et religieuse.

Un nou­vel ava­tar de l’her­mé­neu­tique de la conti­nui­té

Article publié le 16 Mar 2018 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Il y a 5 ans, Benoît XVI annon­çait, dans l’incrédulité géné­rale, sa renon­cia­tion au trône pon­ti­fi­cal. Depuis cinq ans, les milieux conser­va­teurs ne cessent de s’interroger sur les rai­sons pro­fondes de ce geste, dans la mesure où les motifs allé­gués par l’intéressé dans son dis­cours du 11 février 2013, comme dans les Der­nières conver­sa­tions avec Peter See­wald en 2016, sont appa­rus comme trop faibles ou déce­vants au regard de la sta­ture et de l’élévation que ses admi­ra­teurs attri­buaient et attri­buent encore au pape Benoît. Les rai­sons de la démis­sion étaient, en somme, en contra­dic­tion non seule­ment avec l’éthos théo­lo­gique – la lutte à mort contre le rela­ti­visme –, mais encore avec l’éthos mar­ty­ro­lo­gique que Benoît XVI avait lui-même construit dans ses dif­fé­rents dis­cours de 2005 : l’éthos de celui qui ne fui­rait pas devant les loups.

L’anniversaire de cet évé­ne­ment, ain­si que celui de l’élection du pape Fran­çois, ont été mar­qués cette année par deux nou­velles par­ti­cu­liè­re­ment pénibles pour le camp conser­va­teur. Cette fois, les décla­ra­tions pro­blé­ma­tiques ou dou­lou­reuses ne sont pas venues de l’entourage proche de Benoît XVI, en par­ti­cu­lier de son secré­taire, Mgr G. Gäns­wein, ou de son frère aîné, Mgr G. Rat­zin­ger, mais de l’intéressé lui-même, dont on pou­vait dire, jusque-là, qu’il s’était abs­te­nu d’intervenir avec clar­té dans les dif­fé­rents débats dans les­quels son nom avait été agi­té pour ser­vir indif­fé­rem­ment l’un ou l’autre des éten­dards.

Il faut dire que, même les gestes les plus mani­festes du « pape émé­rite », comme sa pro­fes­sion publique de fidé­li­té au pape Ber­go­glio en juin 2016, ont sus­ci­té la sus­pi­cion des conser­va­teurs, prompts à cher­cher, dans la den­si­té sup­po­sée du verbe rat­zin­gué­rien, un double sens récon­for­tant pour « ses » fidèles, tout se pas­sant comme si l’Eglise du Christ – avec, à sa tête, réduit au silence, à la prière et aux gestes sym­bo­liques, le pape Benoît XVI – coexis­tait pour un peu de temps encore avec ce que cer­tains ont déjà appe­lé « l’Eglise ber­go­glienne », contre­fa­çon ins­ti­tu­tion­nelle et spi­ri­tuelle de l’Eglise catho­lique. Il est indé­niable que cette posi­tion ecclé­sio­lo­gique dif­fi­cile, à demi-schis­ma­tique, n’est autre que le résul­tat de la démis­sion du pape Benoît XVI, de la sur­vie de Benoît à son propre pon­ti­fi­cat, mais plus encore, du titre inédit de pape émé­rite, qui a ouvert la porte, chez les fidèles, à une forme de « choix pos­sible » d’un pape selon son cœur.

Le 5 février der­nier, le Cor­riere del­la Sera rece­vait une courte lettre per­son­nelle dans laquelle Benoît XVI décla­rait : « Je peux seule­ment dire à cet égard que, dans le lent déclin des forces phy­siques, inté­rieu­re­ment, je suis en pèle­ri­nage vers la Mai­son ». Sur le fond, le « pape émé­rite » ne disait rien de plus que le pape renon­çant de 2013, mais l’emballement média­tique pro­vo­qué par cet envoi a imman­qua­ble­ment sug­gé­ré, au camp conser­va­teur, la fin pro­chaine de son cham­pion.

Le 7 février, Benoît XVI a adres­sé à Mgr Viganò une lettre – ren­due publique, à des­sein, pour l’anniversaire de l’élection de Fran­çois, ce 13 mars – dans laquelle, tout en refu­sant poli­ment d’écrire une page de théo­lo­gie sur la pen­sée du pape Ber­go­glio, il décla­rait : « Les petits ouvrages [qui m’ont été adres­sés] montrent à juste titre que le Pape Fran­çois est un homme de for­ma­tion phi­lo­so­phique et théo­lo­gique pro­fonde et aident donc à voir la conti­nui­té inté­rieure [c’est-à-dire pro­fonde] entre les deux pon­ti­fi­cats, mal­gré toutes les dif­fé­rences de style et de tem­pé­ra­ment. »

Que les sou­tiens de Fran­çois aient sor­ti cette lettre à point nom­mé, pour s’en ser­vir comme d’un testi­mo­nium rat­zin­gué­rien à l’appui du « pape régnant », cela ne fait pas de doute. La guerre entre fac­tions autour de la mémoire et de l’autorité de Benoît XVI est réelle. Mais, contrai­re­ment à ce que réclament les conser­va­teurs, comme Anto­nio Soc­ci, il n’est pas néces­saire de récla­mer l’autographe du cour­rier pour juger de son authen­ti­ci­té. Le « pape émé­rite » ne fait rien d’autre dans cette lettre que ce qu’il a tou­jours fait, à savoir de « l’herméneutique de la conti­nui­té ». Sim­ple­ment, au lieu de la pra­ti­quer en amont, comme à l’ordinaire, pour démon­trer la conti­nui­té de l’Eglise des années 60 avec celle des siècles pré­cé­dents, il la pra­tique cette fois en aval, selon une méthode théo­lo­gique bien connue, qui consiste à adop­ter un point de vue plus « pro­fond » sur les contra­dic­tions « appa­rentes » afin de les réduire.

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